Conférence

        
        L'ouvrage "Vendéens et Chouans" est, ainsi que je l'ai écrit dans la page d'accueil, une compilation d'articles parus dans des revues spécialisées dans les guerres de l'Ouest durant la Révolution. Par conséquent, les lecteurs de ces articles, abonnés de ces revues, étaient censés connaître les principaux évènements et personnages de cette période. En revanche, pour les lecteurs de l'ouvrage, cette connaissance de base n'était pas forcément acquise. Cette conférence, donnée devant le Rotary Baugé-Anjou, avait pour but de pallier cette lacune, en donnant un aperçu succinct de cette période, mais suffisant pour pouvoir situer les articles dans leur contexte historique. Etant donné qu'il s'agissait d'une conférence informelle, je n'y cite pas mes sources. La plupart des éléments sont tirés des ouvrages de spécialistes. Une partie d'entre eux provient également de Wikipédia dont certains articles sont très bien rédigés et fiables.


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VENDEENS ET CHOUANS

Rotary Baugé-Anjou, 26 avril 2015


            Le terme de « guerres de Vendée » est un terme générique qui fait référence à l’ensemble des soulèvements contre révolutionnaires qui eurent lieu dans l’ouest de la France durant la période de la Révolution et de l’Empire. Les manuels scolaires n’en parlent guère. Au mieux, les guerres de Vendée sont évoquées en quelques lignes. Ce fut pourtant un évènement énorme !

            Enorme d’abord par son ampleur géographique. En mars 1793, ce que l’on nomme la Vendée militaire, ce sont 440 communes insurgées, réparties sur 4 départements : la Vendée, la Loire inférieure, le Maine et Loire et les Deux Sèvres.  Au nord de la Loire, la chouannerie qui accompagne et poursuit le soulèvement vendéen, connaît une plus grande extension encore : englobant le nord du Maine et Loire, la Sarthe, la Mayenne, l’Ille et Vilaine, le Morbihan, les Côtes du Nord, l’Orne, la Manche et le Calvados. 

         Enorme par sa durée : la première guerre de Vendée dure de mars 1793 à février 1795. La deuxième, de juin 95 à mars 96. La troisième, de septembre 1799 à janvier 1800 et la quatrième de mai à juin 1815. Soit un total cumulé de 40 mois de guerre civile.

           Enorme par le nombre de personnes impliquées dans ce conflit. On estime que les guerres de Vendée ont concerné plus de 600.000 personnes, à la fois combattants et civils, causant plus de 150.000 morts et la destruction de plus de 15.000 km2 de pays.

           Enorme, enfin, par ses conséquences politiques. Puisque, sans les guerres de Vendée, la France n’aurait probablement pas vu la chute des Girondins en juin 1793, ni subi la dictature du Comité de Salut Public… Pas plus qu’elle n’aurait connu, en mai 1804, l’instauration de l’Empire, ni, en juin 1815, la défaite de Waterloo .

          Un des paradoxes de ce soulèvement et non des moindres, est qu’il ne fut pas, stricto sensu, contre révolutionnaire. Spontané et populaire, il n’avait au départ, en mars 1793, ni programme idéologique, ni programme politique. Il n’entendait pas restaurer l’Ancien régime, ni abolir la Révolution. Mais il était contre la dictature parisienne qui en était issue. Il était pour l’application des principes de la déclaration des droits des droits de l’Homme d’août 89 et contre un gouvernement jacobin qui, à partir de l’été 1790, en bafoua, l’une après l’autre, toutes les règles ! En ce sens là, en 1793, c’était plutôt la République et son assemblée, la Convention, qui avait renié les principes de la Révolution !  Qu’on en juge !

         Dans son Art. 1er. La Déclaration proclamait : Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Or, dès septembre 1790, la nouvelle Constitution du royaume établissait un distinguo entre les citoyens passifs et les citoyens actifs qui seuls disposaient du droit de vote ! l’Art. 9. qui prévoyait que « Tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable. » Est en contradiction flagrante avec la loi des suspects, votée par la Convention le 17 septembre 93.

          Surtout, selon l’Art. 2. Les droits naturels et imprescriptibles de l'Homme sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. Or, comme on va le voir, la Législative puis la Convention s’en sont prises à la liberté, à la propriété et la sûreté des prêtres, des aristocrates et des paysans catholiques… Quant à la résistance à l’oppression, ce fut la réponse qu’apportèrent à ces mesures despotiques, les chouans  et les Vendéens !


Une révolution qui commençait bien


            En réalité, la révolution de 1789 avait été bien accueillie dans les futures régions insurgées. Les cahiers de doléances y dénonçaient les mêmes abus que ceux du reste de la France. La féodalité et l’inégalité fiscale y étaient aussi honnies qu’ailleurs. Les curés de la future Vendée militaire n’avaient rien de conservateurs. Les nobles non plus. D’Elbée, futur généralissime des Vendéens, avait voté avec le Tiers Etat en 1789. Le 14 juillet 1790, il avait participé, à la fête de la Fédération. Bonchamps, un autre général des Blancs, s’était porté acquéreur de biens du clergé et en septembre 92, avait prêté serment à la République. Charette, le plus fameux de tous, était franc maçon, tout comme Charles d’Autichamp…

            D’ailleurs la révolution était une nécessité. D’abord parce que la monarchie était au bord de la faillite. Et aussi parce que l’énergie était comprimée dans cette société anémiée où tout était réservé à la naissance et au privilège. Nul n’était heureux. Chacun revendiquait des droits. A l’exception peut-être, d’une poignée d’aristocrates qui représentaient moins de 250 000 personnes pour l’ensemble du royaume.

            Ces revendications, on les retrouve dans les cahiers de doléances rédigés en janvier 1789. C’étaient : l’égalité sociale, l’accession à tous les emplois civils et militaires et, surtout, l’égalité fiscale. S’y rajoutaient quelques revendications politiques : telles que la suppression des abus de justice, la liberté individuelle, la liberté de la presse et enfin l’établissement d’une Constitution où le peuple serait représenté avec le droit de consentir à l’impôt.

            Les curés qui étaient environ 60.000 en France, réduits le plus souvent pour vivre à la portion congrue et lassés des scandales qui entachaient le haut clergé qui comptait 130 prélats, ne s’opposaient pas aux revendications du Tiers Etat. Le petit peuple des villes voulait du pain et du travail. Quant aux paysans qui représentaient 80 % de la population française à cette époque, écrasés d’impôts, soumis à la taille, à la dîme, aux aides, à la gabelle et aux  droits féodaux, ils réclamaient avant tout l’égalité fiscale, l’abolition des droits féodaux et l’abolition de la milice…

            Durant un an, de juin 89, jusqu’en juin 1790, la Révolution tint ses promesses. Avec la prise de la Bastille, le 14 juillet, le despotisme, l’arbitraire et les lettres de cachet furent balayés d’un seul coup. Avec la nuit du 4 août, la féodalité et les privilèges des deux premiers ordres disparurent. 15 jours plus tard, avec la Déclaration des droits de l’homme, la liberté, la sûreté, la propriété se trouvèrent garanties. Une constitution stable allait être mise en place, établissant un « contrat » entre le roi, père de son peuple et la Nation représentée par ses députés.

            Le 16 avril 90, les biens du clergé furent nationalisés en contrepartie d’une juste rétribution des prêtres, ce que la plupart d’entre eux qui vivaient misérablement, approuvèrent. 3 Md de biens, essentiellement fonciers, allaient être mis en vente. En attendant la vente effective, pour renflouer les caisses, des bons gagés sur ces biens furent émis : les fameux assignats. 

            Le paysan français qui aspirait passionnément à acquérir la terre, ressentit alors un immense espoir. Le fait que, dans les années qui suivirent, cet espoir se trouva déçu, fut, bien plus que la fin de l’Ancien régime, une des causes majeures de l’insurrection vendéenne.


La dérive de la Révolution, la montée de la contestation


            Après tant d’acquits, la révolution aurait pu s’arrêter là. Ce qui provoqua la dérive qui s’ensuivit, ce fut l’idéologie ! La plupart des députés étaient des intellectuels, des hommes de lettres, des avocats, des journalistes qui maniaient les mots plus facilement que les réalités.

            Persuadés, avec Jean-Jacques Rousseau, que l’homme est naturellement bon et qu’il lui suffit de liberté, d’égalité et de fraternité pour se gouverner au mieux de ses intérêts, volontiers anticléricaux, dans la lignée de Voltaire, d’Alembert et Diderot, ces idéalistes étaient prisonniers d’un dogmatisme idéologique qui les rendait aveugles à la diversité des composantes psychologiques, structurelles et socio-économiques des sociétés humaines qu’ils se proposaient de gouverner. Qui les rendait surtout inaptes au pragmatisme que réclamait un tel bouleversement des mœurs.

            Ne pouvant concevoir la légitimité des résistances que le peuple qui les avait élu, leur opposait, ils furent saisis d’une névrose paranoïaque et crurent voir, derrière l’opposition à leurs décrets qui heurtaient tant d’intérêts particuliers, la marque d’un complot aristocratique !

            Un seul exemple suffit à démontrer cet aveuglement idéologique. Outrepassant ses prérogatives, l’Assemblée constituante entreprit de réorganiser l’Eglise de France en se basant sur la nouvelle organisation administrative du pays. Par la Constitution civile du clergé, votée le 12 juillet 1792, chaque département devait correspondre désormais à un évêché. Ce qui représentait la suppression d’environ 40 évêchés, avec tout ce que cela occasionnait de dégâts au niveau de la vie locale. Tous les chapitres de chanoines furent supprimés. Les limites des paroisses furent calquées sur celles des communes.

            Mais il y avait plus grave : les prêtres, quelque soit leur rang, allaient être élus par les citoyens actifs. Ce qui signifiait que les paysans, les gens du peuple, qui étaient pour la plupart citoyens passifs, n’auraient désormais plus le droit de participer à l’élection de leurs pasteurs, tandis que les plus aisés, quand bien même ils seraient protestants, juifs ou athées, le pouvaient ! Quant au Pape, il n’en était plus fait mention, autrement que comme l’évêque de Rome !

            Voyant que les curés renâclaient, un décret, voté en novembre 90, leur imposa de prêter serment à la CCC sous peine de destitution. Ce décret était très grave, car il jetait dans l’opposition une grande partie du clergé qui avait contribué à la Révolution ! De fait, environ 35% des prêtres refusèrent et devinrent « réfractaires ». Ce taux augmenta encore, en avril 91, après la condamnation de la CCC par le pape Pie VI.

            C’était là un traumatisme tout à fait inutile que la révolution imposait au monde catholique. Suite à cela, des troubles naquirent un peu partout en France. Pas seulement en Anjou, en Poitou et en Bretagne, mais également en Alsace, en Normandie, dans le Massif central, dans le Midi…

            La Législative qui succéda à la Constituante en sept 91, amena au pouvoir une majorité d’anticléricaux qui votèrent la déportation des prêtres réfractaires, la laïcisation de l’état civil, l’autorisation du divorce… Ces décrets avaient également pour but de forcer le roi à user de son véto constitutionnel, ce qu’il fit en décembre et ce qui contribua à le rendre plus impopulaire encore. On le surnomma, dès lors, « monsieur véto ».

            La guerre que l’assemblée déclara à l’empereur François II, le frère de Marie-Antoinette, le 20 avril 92, avait le même but : « démasquer les traitres » ! C’était également pour l’assemblée une façon de détourner vers l’extérieur la colère populaire et de souder le pays derrière son gouvernement. Car, dans toute la France, à cette époque, la colère grondait. L’hiver avait été rude, les ouvriers étaient affamés. La fuite des aristocrates avait ruiné les boutiquiers. L’assignat avait perdu 40% de sa valeur.

            Les premières défaites des armées françaises déclenchèrent une vague de protestation contre la Législative. Mais le malencontreux « manifeste de Brunswick » adressé à la France par les alliés et qui promettait une « subversion totale » aux ennemis du Roi (3 août 92), eut la conséquence inverse de celle qu’il espérait. Une union sacrée se créa dans le pays. La colère populaire se détourna de l’assemblée et se tourna contre Louis XVI. Les sections parisiennes s’emparèrent de l’Hôtel de ville où elles constituèrent une « commune insurrectionnelle ». S’ensuivirent la prise des Tuileries (le 10 août), la déchéance du roi et son emprisonnement au Temple. Une fois le roi éliminé, il fallait trouver d’autres boucs émissaires sur lesquels assouvir la violence populaire. Ce furent ceux que Marat appelait les « conspirateurs » : prêtres réfractaires et « aristocrates » au sens large du terme, entassés dans les prisons de la capitale. Le massacres de ces malheureux qui se commit du 2 au 5 septembre, fit 1600 victimes. La Commune y gagna d’assoir son pouvoir par la terreur et cette époque marque véritablement le basculement de la Révolution dans la dictature jacobine.

            Le 21 septembre 92, la Convention remplaça la Législative. Les Feuillants étant éliminés, les Girondins formaient la droite. A gauche se tenait la Montagne où siégeaient Robespierre et Danton. Elle bénéficiait de l’appui de la Commune et des tribunes.

            A l’époque de la Convention, les députés vivaient entre deux peurs : celle de la révolution populaire et sociale qui attenterait à la propriété et celle de la contre-révolution qui remettrait en cause les acquits.

            Les victoires de Dumouriez, vainqueur à Jemmapes en novembre 92, assurèrent, un premier temps, la suprématie de la Gironde. Mais le procès et la condamnation du roi qui fut exécuté le 21 janvier 1793, donnèrent finalement le pouvoir à la Montagne. Ce fut alors le règne absolu de l’idéologie jacobine.
« En affirmant la souveraineté la plus radicale de l’individu, explique Alain Gérard, les jacobins voulaient le libérer de toutes les tutelles, du Roi, de l’Eglise et même de Dieu. De ses traditions et de son histoire, en un arrachement prométhéen. »

            Un tel arrachement n’allait pas manquer de provoquer de nouveaux troubles. Il fallait par avance museler les opposants. Les prêtres réfractaires étaient désormais condamnés à la prison. Des visites domiciliaires étaient autorisées pour dénicher les aristocrates. Dans chaque ville, dans chaque bourg, des sociétés populaires, affiliées au club des Jacobins, faisaient régner la délation. Les élections se faisant sous la menace, les notables se retirèrent de la vie politique, laissant les commandes des municipalités aux extrémistes.

            Quand les municipalités tombèrent dans la coupe des jacobins, les gardes nationales qu’elles avaient constituées depuis l’été 89 devinrent le bras armé de la République dans les villes et surtout dans les campagnes où les soldats faisaient appliquer durement les décrets de Paris, poursuivant et arrêtant les prêtres réfractaires, installant de force les prêtres « jureurs », pratiquant des visites domiciliaires, dispersant les processions, détruisant les chapelles, réquisitionnant les vivres, les grains, les fourrages, les chevaux, le tout payé en assignats au cours forcé…

            Malgré les succès de Dumouriez, la guerre continuait à faire régner sur le pays une grave menace. Le 29 janvier 93, quand ce général entra en Hollande, l’Angleterre suscita et finança contre nous une immense coalition où derrière l’Autriche se retrouvèrent, la Prusse, la Russie, les princes allemands et l’Espagne.

            Face au danger que représentait une telle coalition, la Convention vota le décret du 24 février 93 qui prévoyait la levée de 300.000 hommes, par volontariat, scrutin ou tirage au sort.
Le tirage au sort fut choisi dans la majorité des cas par les jacobins qui n’étaient pressés de partir. Ce fut le déclencheur de la révolte paysanne qui couvait depuis si longtemps…

            Il avait donc fallu 3 ans aux ruraux, gens de longue patience, pour passer de la résignation à la révolte. Durant ces trois ans, le monde rural avait accumulé rancœurs et frustrations contre la révolution. Les déceptions étaient de plusieurs ordres.

- D’ordre économique d’abord, car, au lieu de combattre la misère, la révolution l’avait souvent accentuée, les prix ayant montés. La guerre ensuite, en supprimant les débouchés de l’industrie textile, avait ruiné les tisserands. Enfin, les éleveurs, les producteurs de grains voyaient leurs productions payées en assignats dévalués.

- D’ordre politique aussi, car, en contradiction, comme on l’a vu, avec les principes énoncés par la Déclaration des droits de l’Homme, la constitution de 1791 avait décrété que seuls les citoyens actifs auraient le droit de voter. Or il fallait pour cela avoir plus de 25 ans ; plus d’un an de résidence ; être ni femme, ni domestique, ni prévenu, ni failli ;  être inscrit à la Garde Nationale ; avoir prêté le serment civique et payer une contribution directe d’un montant supérieur à 3 journées de travail. De sorte que dans un département rural comme le Morbihan, seulement 10% des habitants étaient citoyens actifs en 1790 ! Quant aux bourgeois, ils profitèrent de leur qualité d’électeurs pour accaparer les emplois administratifs dont la plupart étaient soumis au scrutin.

- D’ordre fiscal ensuite : en 1791, la taille avait été remplacée par une contribution foncière. Normalement due par le propriétaire, ce dernier s’arrangeait pour la faire payer à son fermier. Au final, cette contribution s’avéra plus lourde que la taille qui était payée précédemment, car elle incluait les anciens revenus de la gabelle que, par exemple, ne payait pas la Bretagne.

- Enfin, d’ordre militaire : car dès 1792, la milice avait été remplacée par la conscription, créant les premiers soulèvements chouans en Mayenne (Jean Cottereau en août 92).

            Mais la déception la plus grave pour les paysans fut d’ordre foncier. En effet, le bourgeois de la ville, disposant seul de capitaux et profitant de la crise bovine et textile, fut pratiquement le seul à acheter les biens nationaux que guignait le paysan ! En Bretagne, comme en Vendée, la bourgeoisie avait accaparé près de 80% des biens nationalisés.

            Dans la même temps la Révolution avait ôté aux paysans tous leurs soutiens traditionnels, garants de la pérennité de leur mode de vie : leurs nobles, leurs prêtres et, finalement, leur roi. Et comme si cela ne suffisait pas, elle s’était attaquée à leur foi !

            « Rends moi mon Dieu ! » cria le paysan vendéen au soldat de la garde nationale, au patriote de la ville, le « pataud », venu détruire la chapelle où il priait de génération en génération. Tout cela avait fini par constituer une poudrière dont la conscription votée en février 93 fut le détonateur.

            Redisons-le, le soulèvement des Vendéens et des Chouans qui s’ensuivit ne fut donc pas un soulèvement de conviction, en faveur du Roi ou d’un retour à l’Ancien régime. Ce fut un soulèvement de l’exaspération contre le nouvel ordre des choses que la Révolution leur imposait par la force. La violence des paysans fut une réponse aux vexations subies des années durant de la part des « patauds ».


Pourquoi la Vendée ?


            L’ensemble du monde rural avait été déçu par la Révolution. On peut alors se demander pourquoi l’ensemble de la France ne s’est pas soulevé comme l’a fait la Vendée.

            En fait, au moment du tirage au sort, des soulèvements similaires à celui de la Vendée se produisirent un peu partout en France. En Bretagne, dans le Maine, en Normandie (Vire), en Bourgogne (Beaune), à Clermont Ferrand, Grenoble, Angoulême, Orléans, Nice etc. En réalité, l’opposition à la conscription fut si générale qu’en mai 93, seulement 100.000 hommes sur les 300.000 prévus avaient été levés !

            La différence entre le reste de la France et la Vendée, c'est que, partout ailleurs, les gendarmes vinrent à bout des émeutes, alors qu’au contraire, en Vendée, une colonne de soldats de métier fut défaite le 19 mars par les révoltés.

            Quelles étaient donc les spécificités de cette « inexplicable Vendée » dénoncée par le montagnard Barère, qui, partie d’une simple jacquerie, bascula dans la guerre civile ?

            En premier lieu, il faut souligner l’importance du cadre géographique. Le bocage, par sa configuration, joua un rôle essentiel durant la guerre. Les chemins creux qui le sillonnent sont souvent impraticables. Il forme un labyrinthe touffu où seuls ses habitants peuvent se retrouver. Il les protège contre les intrusions, il leur permet les embuscades et, en cas d’échec, d’échapper facilement à leurs poursuivants.

            L’habitat bocager était dispersé. Socialement parlant, la population y était homogène avec une faible disparité des fortunes. Les liens de solidarité y étaient solides et anciens. Les nobles vivaient sur place, en bonne intelligence avec leurs tenanciers dont, par le mode d’exploitation en métayage, ils partageaient les aléas économiques. Ils avaient moins émigré que dans d’autres régions de France. Comme la plupart d’entre eux étaient d’anciens militaires et d’anciens marins du Roi, ils se retrouvèrent rapidement à la tête des révoltés qu’ils surent ensuite diriger comme il le fallait !

            Le curé, surtout, était le personnage essentiel de cette société bocagère. Il était le confesseur des âmes, le rassembleur des dimanches, le lien entre tous les habitants dispersés du bocage. Il dispensait ses conseils et son aide à tous ceux qui le sollicitaient. Son recrutement était local. Il était à la fois aimé et respecté, car il était souvent, avec le noble, le seul notable de la paroisse et n’avait pas, dans cette région, à subir la concurrence d’autres « médiateurs sociaux culturels », tels que procureurs, notaires, artisans, marchands qui contribuaient dans d’autres régions, à promouvoir une image positive de la Révolution.

            Aussi, la Vendée militaire était peu urbanisée. La seule ville importante, Cholet, avait moins de 9.000 habitants. Les voies de communication étaient rares. Pour expliquer les causes de l’insurrection, certains historiens insistent sur cette faible urbanisation des zones insurgées, par rapport aux zones patriotes. Pour Charles Tilly, l’urbanisation, définie comme l’ensemble des changements sociaux qui accompagnent la croissance des villes, tels que la centralisation politique, la création d’un marché national, est un facteur de tension. Or la révolution constitua une période d’accélération brutale de ce processus qui créa des heurts violents dans les régions les moins urbanisées entre les classes sociales favorisées par le processus et celles qui se sentent lésées.

            D’autres auteurs insistent plutôt sur les aspects psychologiques. En particulier l’importance de la foi religieuse demeurée plus forte dans les régions insurgées que dans le reste de la France. Ainsi, en avril 91, au moment de la condamnation de la CCC par le Pape, environ 35 % des prêtres français avaient refusé le serment. Alors que dans l’ouest de la France, le taux de prêtres réfractaires était de 65 % et que dans certaines parties du Morbihan, il montait à 80% !

            Dans cet Ouest catholique, la foi avait été revivifiée moins d’un siècle auparavant par les missions du père Louis Marie Grignion de Montfort, + en 1716 à Saint-Laurent sur Sèvre. Sa prédication s’était étendue à une dizaine de diocèses de l’Ouest, de Saint-Brieuc jusqu'à Saintes, de Nantes jusqu’à Rouen. Son œuvre était perpétuée par les membres de la congrégation fondée par son disciple, le père René Mulot, qui était basée à Saint-Laurent sur Sèvre, au cœur de la future Vendée militaire. Ce furent les frères du Saint-Esprit qui contribuèrent à propager le culte du Sacré Cœur de Jésus que l’on retrouve sur les scapulaires qui ornent la poitrine des combattants vendéens et chouans.

            La guerre de Vendée et la chouannerie furent donc le résultat de l’interférence entre la conjoncture révolutionnaire et cette structure sociale particulière du bocage. Le fameux couple structure/événement cher à Emmanuel Leroy-Ladurie.

            Cet auteur nous explique par ailleurs que la Révolution fut perçue par les paysans comme « un aléa extérieur et citadin, chu d’un désastre obscur (…) Les ruraux eurent l’impression qu’ils entraient en collision avec une série causale indépendante de leur système propre et qui interférait de façon indécente avec leur destin normal. »

            Cet aspect psychologique est un élément essentiel à la compréhension des faits qui nous occupent. Durant les années 1791-1792, le paysan bocager avait perçu la révolution à travers le prisme de sa méfiance pour tout ce qui était urbain. A ses yeux, le citadin patriote, le « pataud », était le seul profiteur de la révolution. Il avait monopolisé l’administration. Il s’était emparé des biens du clergé. Il était l’instigateur de toutes ces nouveautés qui portaient atteinte à son mode de vie. De son côté, le citadin, ouvert au progrès, méprisait le paysan analphabète, le « ventre à choux » comme il l’appelait, qui ne parlait que son patois. Il y avait entre eux une incompréhension qui se transforma bientôt en crainte, puis en haine…

            Pour le paysan, la Révolution était personnifiée par le garde nationale, le Bleu, qui venait de la ville pour réquisitionner ses biens qu’il voulait lui payer en monnaie de singe ! Qui venait perquisitionner dans sa borderie à la recherche des aristocrates ou des prêtres réfractaires. Qui venait regrouper les paroisses, fermer des églises (sur le territoire de la Vendée militaire ce furent 142 paroisses sur 637 qui furent supprimées). Qui venait installer de force « l’intrus », ce prêtre jureur, excommunié par le Pape et qui prenait la place du curé réfractaire, le seul habilité à dispenser les sacrements légitimes, ceux qui permettaient de vivre et de mourir en paix avec le Seigneur.

            Or, comble d’injustice, en mars 93, c’était ce même citadin qui demandait au paysan de partir à sa place défendre sa maudite Révolution ! Alors que les fonctionnaires étaient dispensés du tirage au sort ! Alors que le riche bourgeois pouvait racheter le départ de son fils !

            En réalité, la ponction humaine réclamée par la conscription au monde rural était très faible. Ce fut plutôt le principe qui choqua. Le tirage au sort fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase ! Les jeunes gens refusèrent de « tirer » et crièrent : « Tous, tous, ou personne ! » « Pas de tirement ! »

            Le marquis de Canclaux, général de la République, résume fort bien la situation en avril 93 : « La révolte qui vient d’éclater tient à deux causes. A la persécution des prêtres et au refus de prendre fait et cause pour la République. Ils veulent rester catholiques et ne pas servir ! »


Les débuts de l’insurrection.


            Les premières émeutes ont lieu à Cholet le dimanche 3 mars. Des jeunes gens du canton refusent de tirer et crient : « c’est aux habits bleus de partir ! » Puis ils s'attaquent aux grenadiers et en blessent deux. Les gardes nationaux ripostent en ouvrant le feu sur la foule, trois personnes sont tuées. Le premier sang de la guerre de Vendée est versé.

            Puis, le 11 mars, c’est tout le Pays de Retz qui se soulève. Des milliers de protestataires marchent sur Machecoul, la capitale, qui est prise d'assaut.

            Le 12 mars, l'insurrection se propage aux Mauges. 600 paysans se rassemblent à Saint-Florent-le-Vieil pour s'opposer au tirage. Ils mettent en fuite la garde nationale de la ville, pillent les maisons des patriotes et les caisses du district.

            Le lendemain, les insurgés se cherchent des chefs, pour les protéger des représailles qui ne vont pas manquer de se produire. Ces chefs que sont venus chercher les paysans et qui sont parfois entraînés malgré eux dans la révolte, sont indifféremment des nobles ou des roturiers. De préférence d’anciens militaires qui ont l’expérience du combat. En tous les cas, des hommes qui ont la confiance des paysans.

            Dans le pays de Retz et le Marais breton, ce sont, entre autres, le chevalier François-Athanase de Charette de La Contrie, un ancien officier de marine. Louis de La Cathelinière, un fils de bourgeois. Louis Guérin, un marchand de volailles et Joly qui fut sergent et chirurgien.

            En Anjou, ce sont Charles de Bonchamps et Maurice d’Elbée, tous deux anciens soldats du Roi. Mais aussi l’ancien caporal Jean Perdriau, l’ancien sergent Nicolas Stofflet, garde chasse du comte de Maulévrier et Sébastien Cady, un chirurgien.

            Le plus emblématique de tous ce chefs, se nomme Jacques Cathelineau. Il est cultivateur et voiturier au Pin-en-Mauges. C’est un homme énergique et dévot, surnommé « le saint de l’Anjou ». Le 13 mars, il « rassemble quelques voisins, fait sonner le tocsin, demande au prêtre réfractaire de bénir sa petite troupe, abat le drapeau tricolore qui flottait sur l'église et court rejoindre le gros des insurgés »

            Menés par Cathelineau et Perdriau, les paysans des Mauges s'emparent tout d’abord de Jallais. Puis la foule marche en direction de Chemillé, rejoints en chemin par les paysans des environs de Maulévrier, menés par Jean-Nicolas Stofflet. D'autres paysans, toujours plus nombreux, se joignent à eux. Le 14, Chemillé tombe et la plupart de ses défenseurs sont faits prisonniers. Les révoltés s'emparent alors de plusieurs canons.

            Ensuite, sous la conduite de Stofflet, la troupe, forte à présent de 15 000 hommes, attaque Cholet, gardée par 500 gardes nationaux, 80 cavaliers et une dizaine de canons, commandés par le marquis de Beauvau. Encerclés par les insurgés, 300 républicains trouvent la mort, contre une quarantaine de paysans. En cinq jours, les insurgés se rendent maîtres des Mauges. Dans les jours qui suivent ils prennent le contrôle de presque toutes les paroisses rurales. Les administrateurs et patriotes locaux sont tués, faits prisonniers, ou contraints de fuir.

            De la même manière, en Vendée, les insurgés chassent la garde nationale de Palluau et s'emparent de tout le Marais breton. Les patriotes de Saint-Gilles et de Challans s'enfuient vers les Sables-d'Olonne. À l'intérieur des terres, dans le Bocage, la plupart des petites villes sont prises. La Roche-sur-Yon, Tiffauges, Mortagne-sur-Sèvre et Clisson tombent sans opposer de résistance, suivies de Montaigu. Le 12 mars, 3 000 insurgés, menés par Charles de Royrand, Sapinaud de La Verrie et Sapinaud de La Rairie viennent prendre position aux Quatre-Chemins, carrefour des routes de Nantes à La Rochelle et des Sables-d'Olonne à Saumur.

            Les jours suivants, ce sont 35 000 hommes qui se réunissent à Chemillé. Leur but est de s'emparer de Chalonnes, avant-garde d'Angers. Les républicains leur opposent 4 000 hommes et 5 canons. Mais, le 22 mars, les municipaux se rendent aux Blancs et les gardes nationaux se replient vers Angers. Les insurgés entrent dans la ville aux cris de « Vive la religion ! » Mais alors qu'Angers s'attend à un assaut imminent, l'armée se dissout et les combattants rentrent dans leurs foyers. On s'était soulevé pour éviter d'être soldat et il n'était pas question de le devenir pour rétablir la monarchie.

            Les républicains tentent alors de reprendre l'avantage. Sous les ordres du général Marcé, une armée régulière, partie de La Rochelle, composée de 2 200 soldats, 100 cavaliers, dotée de 8 canons, tente de traverser la zone insurgée. Le soir du 19, elle s'apprête à bivouaquer dans un fond de vallée, à Saint-Vincent Sterlanges, quand elle entend une troupe s’approcher dans l’obscurité. Le chant de la Marseillaise la rassure. Mais il s’agit en fait de M. de Royrand et les paroles de la Marseillaise en question disent : « allons armées catholiques, le jour de gloire est arrivé, contre nous de la république, l’étendard sanglant est levé ! » Prise dans une fusillade, la colonne se débande et s’enfuit vers La Rochelle.

            Pour la première fois les paysans ont battu une armée régulière. L’écho de cette défaite retentit jusqu’à la Convention. C’est à cause d’elle que le soulèvement dans son ensemble prit le nom de « révolte de la Vendée ». Fin mars, cette « Vendée militaire » est pour une bonne part dessinée. Elle comprend le département de la Vendée, les moitiés méridionales de la Loire-Inférieure et du Maine-et-Loire et bientôt va se rajouter le Bressuirais qui fait partie des Deux Sèvres.

            Le 13 avril, un mois après le début de l’insurrection, paraît sur la lice une figure de légende qui entraîne dans la lutte tout le Haut Poitou… Informés des succès obtenus par les insurgés en Anjou, des jeunes gens, frappés par la conscription, sont allés trouver en son château de La Durbellière, à Saint Aubin de Baubigné, Henri, le fils du marquis de La Rochejaquelein. Le garçon avait fait partie de la garde constitutionnelle du roi et avait combattu aux Tuileries, le 10 août 1792, pour défendre le trône. Mais il n’a que 20 ans et il est réticent à assumer une tâche qui lui paraît si lourde. Néanmoins, ce beau jeune homme blond, élancé, aux yeux bleus, surnommé plus tard pour sa bravoure « l’Achille de la Grande Armée », finit par accepter. Il tient alors à sa troupe un discours qui aura une place de choix dans les annales de l’épopée : « mes amis, leur dit-il, si j’avance suivez-moi ; si je recule, tuez-moi ; si je meurs, vengez-moi ! »

            Puis il entraîne sa petite armée contre celle du général Quétineau qui cantonne aux Aubiers et l’en chasse brutalement. Le butin en armes et en munitions sert à armer les gars ! Début mai, il lance sa troupe à la conquête de Bressuire et libère des prisons de la ville deux nouvelles recrues de choix : le marquis de Lescure et le chevalier Bernard de Marigny, anciens soldats eux aussi. Le premier, surnommé pour sa piété le « saint du Poitou », va mener les paysans à la conquête de Thouars (le 5 mai). Le second, un Hercule, ancien officier de marine, se place à la tête de l’artillerie qui, sous ses ordres, comptera jusqu’à 130 pièces !


Les évènements : flux et reflux de la Vendée


            Comme il faut bien se donner un nom et que celui de « brigands » dont les affublent leurs adversaires ne leur convient pas, les paysans, sous l’influence de leurs prêtres et de leurs nobles qui ont le souci de légitimer leur combat, se donnent le nom « d’Armée catholique et royale ». Mais seul le nom flamboie, car, dans la réalité, cette armée est bien mal équipée. En outre, elle n’est pas permanente, car les paysans, tous volontaires, ont l’habitude de rentrer chez eux dès la fin des combats, pour vaquer aux travaux agricoles, en attendant que le tocsin les rameute.
            Trois armées sont néanmoins constituées : l'armée d'Anjou et du Haut-Poitou, surnommée la « Grande Armée » ou l'« Armée du Bocage », à l'est de la Sèvre nantaise ; l' « Armée du Centre », au cœur de la Vendée ; l'armée du Bas-Poitou et du Pays de Retz, dite « Armée du Marais », entre la Sèvre nantaise et l'océan Atlantique.
            Durant tout le soulèvement, ces armées manquent cruellement d’armes, de munitions, d’artillerie, de cavalerie, d’intendance, de troupes permanentes et d’unité de commandement. Elles s'occupent avant tout de sauvegarder la portion de territoire dont elles sont issues.
            La stratégie des Vendéens est nettement anti urbaine. Il s’agit pour eux de s’emparer des villes et des bourgs, d’en déloger les garnisons, de s’emparer des armes et des munitions, de détruire les papiers de l’administration. C’est sans succès que leurs chefs tentent de les entraîner vers le littoral, pour tendre la main à l’Angleterre, ou au nord de la Loire pour soulever en masse les contrées de l’ouest supposées royalistes.

            Quant à leur tactique de combat, elle s'organise autour des avantages que leur procure le bocage qui facilite les opérations d'embuscade et gêne la manœuvre des unités de l'armée révolutionnaire. On attaque de front, en masse, les chefs à la tête des paysans, tandis que des tirailleurs contournent l’adversaire en se servant des haies, pour se rabattre sur ses flancs ou sur ses arrières. En cas de succès, les Bleus sont massacrés dans les chemins creux. En cas de résistance, les paysans sont vite découragés. Le manque de munitions se fait sentir rapidement et l’on s’égaille dans la nature, quasiment assuré de n’être pas poursuivi.

            Les opérations de mai et juin sont un franc succès pour les Blancs. Le mois de mai s'ouvre par une grande offensive menée contre la ville de Thouars où Quétineau s’est retranché avec plus de 5 000 hommes. Le 5 mai, la place est attaquée par près de 30 000 Vendéens. Quétineau capitule. Il est remis en liberté avec ses hommes contre le serment de ne plus combattre contre le roi. Afin que les soldats républicains soient reconnus s'ils trahissent leur promesse, ils ont les cheveux rasés.

            Cette victoire a un grand retentissement. Les rebelles s'emparent de milliers de fusils, des munitions, d'artillerie. Dans la foulée, ils prennent Parthenay, puis La Châtaigneraie. Mais l'armée se désagrège au fur à mesure de son avancée loin du bocage. Le 16 mai, devant Fontenay-le-Comte, les paysans sont moins de 8 000. Peu habitués à combattre sur la plaine, à terrain découvert, sous le feu des canons, chargés par la cavalerie, ils sont repoussés et mis en déroute.

            Le 24 mai l'armée catholique et royale, forte de plus de 30 000 hommes, revient venger sa défaite. Cette fois, l'armée républicaine est battue après un court combat et 3 000 soldats sont faits prisonniers. Comme à Thouars, ils sont relâchés contre le serment ne plus prendre les armes. Mais quelques jours plus tard, Fontenay-le-Comte est à son tour abandonnée.

            La semaine suivante, l'état-major décide d'attaquer Saumur. Le 10 juin, les Blancs prennent d'assaut la ville et s'emparent de 15 000 fusils et de 50 à 80 canons. Comme à Thouars, les prisonniers républicains sont relâchés sous serment. Des détachements isolés s'emparent sans combat de Chinon et de Loudun. 4 cavaliers parviennent à eux seuls à s'emparer de La Flèche !

            Mais dès le lendemain, 20 000 des 30 000 paysans rassemblés rentrent chez eux, rendant une fois de plus inutiles les victoires des jours précédents. Par ailleurs, des rivalités commencent à opposer entre eux les officiers. Pour assurer la cohésion de l'ensemble, les chefs élisent un « généralissime » et dans le but de flatter les paysans, le choix se porte sur Cathelineau qui est élu le 12 juin. C’est ensuite Angers qui est prise le 18 juin, abandonnée par les 5 000 hommes de la garnison. Une messe y est célébrée.

            Charette écrit alors à Lescure pour lui proposer de s'emparer ensemble de Nantes. La garnison de la ville se compose de 3 000 hommes de ligne, auxquels s'ajoutent 2 000 volontaires et 5 000 gardes nationaux, soit un total de 10 000 hommes commandés par le marquis de Canclaux, contre les 15 000 que Charette a massés sur la rive gauche de la Loire et les 18 000 de Lescure sur la rive droite. Par la faute de la résistance des habitants et du manque de coordination des royalistes, l’attaque contre Nantes, les 28 et 29 juin, échoue et Cathelineau est mortellement blessé (il décède le 14 juillet).

            Dès lors, les paysans sont démoralisés. Leur généralissime, Cathelineau, est mourant. En outre, alors qu’ils avaient imaginé que l’ensemble du monde rural s’était révolté comme eux contre la conscription et que la chute des Girondins avait soulevé l’ensemble du pays contre la dictature jacobine, il leur fallait se rendre à l’évidence : ils étaient seuls !

            Pour la Vendée, c’est désormais le reflux. N’ayant pas su garder les villes conquises, n’ayant pas su déborder du bocage et se donner du champ, le mouvement qui a perdu l’initiative, se retrouve condamné à la défensive.

            Pendant les mois de juillet et août, les combats sont indécis. On tente, le 30 juillet, une attaque sur Luçon. Mais l'offensive est repoussée. Deux semaines plus tard, renforcée par les forces de Charette, l'armée catholique et royale forte de 35 000 hommes, lance une nouvelle attaque. Mais les 6 000 hommes du général Tuncq mettent en déroute les Vendéens, vulnérables dans la plaine. Ils laissent 1 500 à 2 000 morts sur le champ de bataille et éprouvent, ce jour-là, une de leurs plus cuisantes défaites.

            Et les soucis ne font que commencer. Une armée formée de vétérans, les redoutables Mayençais, commandée par de valeureux généraux tels Aubert-Dubayet, Kléber ou Haxo, a été envoyée dans l’Ouest par la Convention. Cette armée arrive à Nantes début septembre, accompagnée du sinistre Jean-Baptiste Carrier, le représentant en mission du CSP.

            Le 8 septembre, les Mayençais pénètrent en Vendée et repoussent toutes les troupes rencontrées sur leur passage. La Cathelinière est chassé de Port-Saint-Père. Machecoul et Legé sont prises sans combat. Charette est forcé de quitter le Marais breton pour rejoindre l'armée d'Anjou. Les Mayençais incendient tous les bourgs qu'ils traversent, jusqu’à ce que, le 19 septembre, à Torfou, leur avant garde, forte de 2 000 hommes, commandés par Kléber, se retrouve confrontée à 20 000 Vendéens qui les contraignent à retraiter vers Nantes.

            Mais l’armée républicaine reprend bientôt l’offensive. Pour leur faire face, l’ensemble des forces vendéennes, à l'exception des armées du Marais, se regroupe dans les environs de Cholet. Le 15 octobre les Mayençais attaquent la ville. Les Vendéens sont battus à La Tremblaye et se replient sur Beaupréau. Lescure est grièvement blessé. L’armée républicaine qui s’est regroupée elle aussi dans la capitale vendéenne, est forte de 26 000 hommes. Le combat du lendemain sera décisif.

            Le 17 octobre, 40 000 Vendéens se lancent à l'attaque de Cholet. La bataille est longtemps indécise mais après plusieurs assauts où d’Elbée et Bonchamps sont grièvement blessés, les Vendéens prennent la déroute et se replient sur Saint-Florent-le-Vieil, au bord de la Loire. En une nuit, le 18 octobre, ils traversent le fleuve pour se mettre à l’abri sur la rive droite. Il y a là environ 30 000 combattants accompagnés de 30 000 à 60 000 non-combattants (blessés, vieillards, femmes et enfants…), formant un convoi d’environ 18 kms de long. C'est le début de ce que l’on a appelé la « Virée de Galerne ».

            Durant la traversée, le général Bonchamps, mourant, s’oppose au massacre de 5 000 prisonniers républicains que ses hommes voulaient fusiller, c’est le célèbre « pardon de Bonchamps », illustré par la statue de David d’Angers, placée actuellement dans l’abbatiale de Saint Florent.

            Les Vendéens qui ont nommé La Rochejaquelein généralissime en remplacement de d’Elbée, marchent sur Laval. La ville est prise le 22 octobre. 5 000 chouans, menés par  Jean Cottereau, se joignent alors à l'armée catholique et royale.

            Pendant ce temps, l'armée de l'Ouest se lance à la poursuite des rebelles. C’est pour son malheur que, le 26 octobre, elle les atteint à Entrammes ! Elle est battue et c’est la plus brillante victoire remportée par La Rochejacquelein. Les républicains s'enfuient en direction d'Angers, ayant perdu 4 000 hommes, tués ou blessés, et 19 canons, alors que les Vendéens n’ont que 400 morts et 1 200 blessés. Ces derniers poursuivent leur route vers le nord. Le 2 novembre, Mayenne est prise sans combat. Le 3 novembre, Fougères est prise d'assaut. Le même jour, le général Lescure succombe à ses blessures.

            Dès lors, que faire ? S’enfoncer en Bretagne ? Mais la chouannerie n’est pas organisée et la population est inhospitalière. Se diriger vers Paris ? Mais les paysans ne suivraient pas leurs chefs. Influencé par des informations fallacieuses qui leur font espérer un soutien de la flotte anglaise, l'état-major vendéen décide alors de s’empare d’un port. Mais lequel ? Saint-Malo ? Trop bien fortifié ! Un transfuge républicain suggère Granville.  Va pour Granville ! En chemin les Vendéens prennent Dol-de-Bretagne, Pontorson et Avranches presque sans combats. Le 14 novembre, ils sont devant Granville où une déception les attend. Aucun navire anglais en vue et la ville est imprenable ! Après deux jours de combats qui font près de 2000 morts, les Vendéens battent en retraite et décident de regagner, coûte que coûte, la Vendée.

            Mais la troupe vendéenne, composée pour moitié de blessés, de vieillards, de femmes et d'enfants, est à bout de forces, ravagée par la famine et les maladies qui font des milliers de victimes. Sans compter que les pertes des Blancs ne peuvent pas être compensées, tandis que les républicains reçoivent constamment des renforts.

            Les Bleus sont ainsi en mesure d’aligner à nouveau 25 000 hommes pour barrer la route aux Vendéens.

            Dans un effort désespéré, exhortés par l’abbé Doussin, ayant à leur tête Stofflet et La Rochejaquelein, les Vendéens se lancent au combat aux cris de : « Vive le Roi ! Nous allons au Paradis ! » Après 3 jours de lutte incessante autour de Dol (du 20 au 22 novembre), ces paysans en haillons, grelottants et épuisés, réussissent à mettre en déroute les soldats tout frais de Kléber, de Marceau et de Westermann ! Au soir du 22, vainqueurs, les Vendéens s’endorment sur le champ de bataille !  Le 23 novembre, ils reprennent leur marche vers Angers, dernière place forte avant la Vendée. La ville est assiégée le 4 décembre, mais les défenseurs sont solidement retranchés derrière les remparts de la ville. La Rochejacquelein conduit alors sa troupe sur Baugé (6 décembre), puis sur La Flèche, dont il s'empare le 8 décembre. Ensuite l'armée fait mouvement sur Le Mans, une ville qu’elle n’avait pas occupée à l’aller et où elle espère trouver un peu de nourriture et de repos. Le 10 décembre, la ville est prise. Mais le 12 décembre, les Vendéens sont à nouveau attaqués par l'armée républicaine. Dans le labyrinthe des ruelles de la vieille ville, c’est le massacre des blessés, des femmes et des enfants, malgré les ordres du général Marceau qui parvient néanmoins à sauver plusieurs centaines de prisonniers. Laissant 10 000 morts au Mans, les survivants s’enfuient vers Laval, découragés, dévorés par le typhus et la dysenterie, insultés par les populations excédées de leurs passages incessants.

            Le 16 décembre, ils atteignent les bords de la Loire à Ancenis. La Rochejaquelein et Stofflet parviennent à traverser le fleuve avec une poignée d'hommes pour établir une tête de pont, mais ils sont aussitôt dispersés par l’arrivée de quelques détachements républicains et les canonnières qui patrouillent sur le fleuve empêchent le passage du gros de l’armée. Les derniers Vendéens qui ne sont plus que 10 000 à 15 000, dont à peine 6 000 combattants, fuient vers l'Ouest en direction de Savenay. Le lendemain, les républicains attaquent la ville et c'est un nouveau massacre qui commence, 3 000 à 7 000 Vendéens sont tués au combat ou exécutés sommairement, tandis que les républicains n'ont que 30 morts et 200 blessés. Dans les jours qui suivent, 2 000 prisonniers sont fusillés. Les femmes et les enfants sont envoyés dans les prisons de Nantes où Carrier se charge de leur sort.


Vendée et Convention : une interaction destructrice


            Ces événements dramatiques relèvent de deux séries d’enchaînement de causes à effets d’ordre différent. La première est assez difficile à expliquer. On peut la nommer la force du destin, conjonction de facteurs géographiques, sociaux, psychologiques et militaires, avec, par-dessus le tout, une immense dose de hasard. La seconde relève de la manipulation politique.

            En 1793, à Paris, au sein de la Convention, les factions se déchirent, sur fond de guerre, de famine, de dépression économique, de banqueroute, de colère populaire et de dictature de la Commune.

            Ces factions se déchirent pour le pouvoir. Mais le pouvoir, à cette époque, ce n’est pas, comme de nos jours, des places, des salaires ou des avantages matériels… Le pouvoir, en vérité, c’est le seul moyen de demeurer en vie ! Car, en ce temps là, il faut être guillotineur, pour ne pas être guillotiné !

            Dans cette lutte à mort entre la Gironde et la Montagne, le soulèvement de la Vendée va jouer un rôle de premier plan.

            Au moment même où débute l’insurrection vendéenne, les Autrichiens envahissent la Belgique et Liège tombe entre leurs mains. C’est dans ce contexte de tension extrême que la Convention apprend le soulèvement de la Vendée. Au lieu de calmer le jeu, elle décrète, le 19 mars, que tout rebelle pris les armes à la main sera exécuté sans jugement ! Ainsi, il suffit d’un décret pour radicaliser le conflit et transformer une simple jacquerie en soulèvement politique.

            Mis hors la loi, ne pouvant plus compter sur la justice de leur pays, les insurgés n’ont plus d’autre choix que de combattre à outrance. C’est parce qu’ils sont traités de « traîtres », de « conspirateurs » et de  « brigands », qu’ils se voient forcés, pour légitimer leur combat, de le politiser. C’est alors qu’à l’instigation de leurs chefs aristocrates, ils se réunissent en « Armées catholiques et royales », sous les étendards de Louis XVII.

            Les termes de l’ultimatum lancé par les Blancs à la municipalité de Fontenay le 9 mai, sont significatifs à cet égard: « Nous avons pris les armes pour soutenir la religion de nos pères et pour rendre à notre auguste et légitime souverain Louis XVII l’éclat et la solidité de son trône ! » Plus rien à voir avec le « pas de tirement ! » de mars !

            A la faveur de l’affolement qui s’empare de la Convention à l’annonce simultanée de la défaite de Dumouriez à Neerwinden (20 mars) et de celle de Marcé à Saint-Vincent-Sterlanges (le 19 mars), la Montagne, s’empare du pouvoir et met la Terreur à l’ordre du jour ! Une armée révolutionnaire de l’intérieur est créée. Un comité révolutionnaire est établi dans chaque commune (21 mars). Un CSP est instauré (25 mars) qui tient lieu d’exécutif. Les prêtres réfractaires, assimilés à des conspirateurs, sont mis hors la loi. Les émigrés sont bannis à jamais.

            Quand Dumouriez tente de soulever son armée contre la Convention, avant de passer finalement à l’ennemi, la chute de la Gironde devient inéluctable. Elle est effective le 2 juin. Ce jour-là, la Commune et les sections, excitées par Marat, utilisent la garde nationale commandée par Hanriot et les volontaires enrôlés pour aller combattre la Vendée, pour investir l’Assemblée et abattre la Gironde. Les députés Girondins sont décrétés d’arrestation, comme « complices de Dumouriez ». Ceux qui réussissent à s’enfuir sont accusés par Couthon d’aller « rejoindre leur armée de Vendée » !

            On voit bien là que, véritablement, le soulèvement vendéen a infléchi le destin de la Révolution !

            A la nouvelle de ce coup de force de Paris contre les députés, les villes de Bordeaux, Toulouse, Lyon, Nîmes, Marseille, Toulon, ainsi que 20 départements se fédèrent contre la capitale. Mais ce mouvement de protestation, nommé « fédéralisme » fait long feu. Et c’est, une nouvelle fois, à cause de la Vendée !

            Car la Convention montagnarde a l’habilité d’amalgamer les deux mouvements sous l’accusation de « contre révolution » et elle discrédite d’autant plus facilement le « fédéralisme » que le soulèvement vendéen accumule alors victoire sur victoire, faisant trembler tous ceux qu’effraye l’idée d’un retour à l’ancien régime.

            C’est ainsi par la faute de la pression que font alors porter sur elles la Vendée et les chouans que Nantes et Brest, deux villes girondines, refusent de s’associer à « l’assemblée des départements réunis » promulguée à Caen par les girondins en exil (13 juin), faisant échouer le mouvement fédéraliste qui aurait dû logiquement emporter la partie.

            Le fait que Toulon se livre aux Anglais aux cris de « Vive Louis 17 » et que ce soit une « ci-devant », Marie de Corday, qui assassine Marat pour venger la Gironde (13 juillet), semble justifier l’amalgame. La dictature de la Montagne est désormais assurée.

            Débarrassés de leurs rivaux girondins, les montagnards tremblent à présent à la nouvelle de la prise de Saumur (9 juin) puis d’Angers (18 juin) par l’Armée catholique et royale. Barère s’exclame : « la République n’est plus qu’une grande ville assiégée ! » Danton qui penche vers la modération, est alors écarté du CSP où, le 24 juillet, Robespierre entre en maître. 

            Les conséquences politiques ne se font pas attendre : les ministres sont supprimés, le CSP est investi de pouvoirs dictatoriaux. Il nomme les fonctionnaires, nomme et destitue les généraux. Il contrôle l’action des représentants en mission dans les départements. Il dispose de la police (par l’intermédiaire du CSG), de la justice d’exception (par le Tribunal révolutionnaire) et de fonds secrets. Le 17 septembre, il fait voter la terrible « loi des suspects » qui lui donne le droit de faire arrêter et envoyer au Tribunal révolutionnaire qui bon lui semble sous le prétexte de « conspiration royaliste » !

            Ce que les historiens appellent la « première Terreur » qui va de juillet à décembre 1793, est donc une conséquence directe de la guerre de Vendée qui en est l’alibi ! Durant cette période, sont guillotinés Charlotte Corday (17 juillet), les girondins (Vergniaud, 14 octobre), Marie-Antoinette (16 octobre), Philippe-Egalité, Barnave, Bailly, Manon Roland qui s’écrie : « liberté, que de crimes on commet en ton nom ! ». Avant, l’année suivante, que viennent le tour des Hébertistes et celui des Dantonistes… « Le ressort du gouvernement populaire, professe alors Robespierre, est dans la vertu et la terreur ! » (25 décembre)

            Après lui avoir servi à assurer son pouvoir, la Vendée apparaît désormais au CSP comme une menace qu’il faut éradiquer. Barère expose alors à la Convention des mesures qui « tendent à exterminer cette race rebelle, à faire disparaître leurs repaires, à incendier leurs forêts, à couper leurs récoltes. C’est, dit-il, dans les plaies gangrénantes que la médecine porte le fer et le feu ! » Sans plus attendre, le CSP décide d’envoyer en Vendée une armée réputée invincible, celle des Mayençais. On connaît le résultat !

            Quand il apprend la défaite de Kléber à Torfou, le 1er octobre, le CSP n’en croit pas ses yeux et c’est encore Barère qui monte à la tribune pour en informer la Convention : « L’inexplicable Vendée existe encore et les efforts des républicains ont été jusqu’à présent impuissants contre les brigandages et les complots royalistes…

            Il préconise  en conclusion : « Soldats de la liberté, il faut que les brigands de la Vendée soient exterminés avant la fin du mois d’octobre ; le salut de la patrie l’exige ! »

            Pour assurer la pérennité de leur pouvoir, seul rempart entre leur cou et la guillotine, les membres du CSP se déclarent alors « tenus de siéger jusqu’à la paix ! » (10 octobre).

            Dans ces conditions, les victoires ne feront pas son affaire ! Et pourtant, ces victoires, elles arrivent ! Les généraux de la République, des hommes comme Hoche, Pichegru ou Marceau, à la tête d’une formidable génération de volontaires, commencent à en remporter sur une coalition que divise la question polonaise.

            Heureusement que pour se maintenir au pouvoir, il reste encore au CSP la Vendée, lancée dans la menaçante « Virée de Galerne » ! Mais bientôt, le 23 décembre, la voici anéantie dans les marais de Savenay.

            La Vendée n’est plus un danger. Il suffirait alors d’un décret d’amnistie pour que la paix intérieure soit partout rétablie. Mais cette paix sonnerait le glas du CSP qui sent la colère monter autour de lui. Colère des députés modérés, colère du peuple qui réclame du pain et auquel, selon le mot de Roland, on donne à la place des cadavres.

            Une fois de plus, ce sera la Vendée, anéantie, inoffensive, réduite à l’état de spectre, qui va servir d’alibi au maintien de la Terreur. C’est à la volonté farouche du CSP de conserver son pouvoir coûte que coûte que l’on doit l’engrenage d’horreur qui va frapper la Vendée, à un point tel que de nombreux historiens, Reynald Secher en tête, parlent à son sujet de génocide !


Le génocide et la paix impossible


            Au terme de la Virée de Galerne, la victoire républicaine est acquise. Sur les 60 000 à 70 000 Vendéens ayant franchi la Loire, seulement 4 000 ont réussi à retraverser le fleuve.
            Malgré cela, le 24 décembre 1793, le représentant du CSP à Angers, Francastel, fait placarder à Angers une affiche qui proclame : « La Vendée sera dépeuplée et la République sera vengée… Mes frères, que la Terreur ne cesse d'être à l'ordre du jour et tout ira bien. » Dans le même esprit, Carrier, à Nantes, adresse le 12 décembre 1793, une lettre au général Haxo : « Il entre dans mes projets, écrit-il, et ce sont les ordres de la Convention nationale, d'enlever toutes les subsistances, les denrées, les fourrages, tout en un mot dans ce maudit pays, de livrer aux flammes tous les bâtiments, d'en exterminer tous les habitants… »
            Le général Louis Marie Turreau prend la tête de l'armée de l'Ouest. S'appuyant sur la loi du 1er août 93 et sur divers décrets des représentants en mission, il met au point un plan de campagne. Vingt colonnes mobiles, baptisées plus tard « colonnes infernales », sont chargées de dévaster la Vendée militaire. À ses troupes, il donne pour consigne de passer au fil de la baïonnette tous les rebelles « trouvés les armes à la main, ou convaincus de les avoir prises » ainsi que « les filles, femmes et enfants qui seront dans ce cas. (…) les personnes seulement suspectes ne seront pas plus épargnées. »
            Le Comité de salut public approuve son plan. Le 8 février 94, Carnot lui écrit que « ses mesures lui paraissent bonnes et ses intentions pures. » Les représentants en mission Francastel, Hentz et Garrau donnent leur approbation, estimant qu'il « n'y aurait de moyen de ramener le calme dans ce pays qu'en en faisant sortir tout ce qui n'était pas coupable et acharné, en en exterminant le reste ».
            De janvier à mai, le plan en question est mis à exécution. À l'est, Turreau prend le commandement de onze colonnes, tandis qu'à l'ouest le général Haxo dirige vers l’intérieur du pays huit colonnes de tailles réduites.
            La plupart des colonnes, en particulier celles commandées par Cordellier, Grignon, Huché et Amey, se livrent aux pillages, massacrent la population civile, violent, torturent et tuent femmes et enfants, souvent à l'arme blanche pour économiser la poudre. Ils brûlent des villages entiers, saisissent ou détruisent les récoltes et le bétail. Des femmes enceintes sont écrasées sous des pressoirs, des nouveau-nés sont empalés au bout des baïonnettes. Des femmes et des enfants sont coupés vifs en morceaux ou jetés vivants dans des fours allumés.
            Mais, loin de mettre fin à la guerre, le plan de Turreau pousse au contraire les paysans à rejoindre les armées vendéennes. Et le 1er avril, Joseph Lequinio, un représentant en mission plus modéré que les autres, présente un mémoire au CSP pour réclamer la fin de cette barbarie.
            Tenu en échec par les bandes de Stofflet, de Marigny et de Charette, Turreau est finalement suspendu le 17 mai 1794. Mais de 20 à 50 000 civils vendéens ont été massacrés par les colonnes infernales et la Vendée restera à jamais marquée par ce drame de son histoire.
            Le 28 janvier 94, Henri de La Rochejaquelein qui avait survécu à la virée de Galerne, est tué bêtement lors d’une escarmouche à Nuaillé et Stofflet prend sa suite, à la tête de l’armée d’Anjou. Marigny commande aux débris de l’armée du Poitou et Sapinaud a repris son commandement dans le centre.
            Le principal chef de la Vendée est alors le chevalier Charette qui est resté dans son pays de Retz, n’ayant participé ni à la bataille de Cholet, ni à la virée de Galerne.
            Mais, durant tout l’hiver, le général Haxo, resté lui aussi en Vendée, lui mène la vie dure, avant que le dieu des batailles l’en délivre le 20 mars 94, au combat des Clouzeaux. A partir de ce moment-là, le prestige de Charette s’accroit démesurément au point qu’on finit par le surnommer « le roi de la Vendée » !
            Plus que jamais, les chefs royalistes auraient dû se serrer les coudes. Au contraire, ce furent leurs rivalités qui allaient les mener à leur perte. Charette désirait être reconnu comme généralissime, ce que ses rivaux ne souffrirent point lui accorder. Les premières conséquences de ces rivalités furent l’exécution de Joly sur son ordre (fin juin 94) et celle de Marigny sur l’ordre de Stofflet (10 juillet 94)
            Avant d’être tués par les Bleus, les Blancs se tuaient entre eux !
            La chute de Robespierre (27 juillet 94) apporta un certain apaisement. Dès le mois de décembre 94, des négociations s’engagèrent entre la République et les Vendéens. En échange d’une reconnaissance de la République, on leur promettait la liberté religieuse, la dispense de la conscription, la rémission des impôts. Epuisés par presque deux ans de luttes ininterrompues, les paysans aspiraient à la paix. Soupçonnant un double jeu de la part de la République, les chefs hésitaient. Finalement, sous la pression de leur base et de celle des prêtres, tous finirent par signer. Charette à La Jaunaie, près de Nantes, le 17 février 1795. Les chouans de Cormatin à La Mabilais, près de Rennes, le 20 avril et Stofflet, à Saint Florent, le 2 mai.
            Ces traités eurent des conséquences délétères pour le parti royaliste. Ils accentuèrent la désunion entre les chefs dont certains n’avaient pas digéré la reconnaissance de la République. Ils démobilisèrent les soldats qui, ayant goûté à la paix, ne voulurent plus ensuite reprendre les armes.
            Ainsi, quand la guerre reprit au mois de juin, à l’annonce du débarquement des émigrés à Quiberon, les chefs ne purent jamais réunir leurs troupes en aussi grand nombre qu’auparavant. Désormais, seule une poignée d’irréductibles, des émigrés, des marginaux, des étrangers, des déserteurs, des aventuriers, leur servent d’armée.
            Isolés, vulnérables, traqués par les colonnes mobiles du général Lazare Hoche, ils sont capturés les uns après les autres. Mais ils se défendent jusqu’au bout et savent mourir en héros. Le sympathique Boishardy est assassiné par surprise, la veille de ses noces, en juin 95. Le même mois, le féroce Coquereau est massacré en Mayenne. Stofflet, trahi, est pris le 23 février 96, conduit aussitôt à Angers et fusillé le 26. Enfin, Charette, capturé le 23 mars à la Chabotterie, est traîné à Nantes où, le 29 mars, il nous donne une leçon de courage devant la mort.
            Il ne reste plus, désormais, que la chouannerie pour tenir tête à la République et brandir haut le drapeau de la contre révolution.

La chouannerie

            Le nord de la Loire avait connu lui aussi des soulèvements contre la conscription. Là aussi le monde rural avait souffert de frustrations et de vexations. Là aussi, des intérêts lésés et des convictions froissées avaient poussés un grand nombre de gens dans la contre révolution. 
            Mais au nord de la Loire, les mouvements insurrectionnels avaient été réprimés par les garnisons qui occupaient les villes dont le réseau quadrillait le territoire. Le général Canclaux, basé à Brest avec sa troupe, avait dispersé à coups de canons les paysans venus attaquer Saint-Pol de Léon.
            Le 19 mars, à Mané-Corohan, près d’Auray, dans le Morbihan, la garnison de Lorient et celle de Belle Ile avaient mis en fuite les réfractaires à la conscription, parmi lesquels figurait le jeune Georges Cadoudal, âgé alors de 22 ans.
            Dès lors, les rebelles avaient du fuir en Vendée ou se terrer dans les forêts.
            Certains, comme Cadoudal ou Coquereau, s’étaient joints à l’armée de Bonchamps. Il y avait eu aussi 5000 chouans de la Mayenne et de l’Ile et Vilaine qui s’étaient ralliés aux Vendéens à Laval.
            Tous ces hommes qui allaient bientôt diriger la chouannerie furent témoins des massacres du Mans (12 décembre) et de ceux de Savenay (23 décembre). Ils n’oublieront jamais. Ils ne pardonneront jamais. Ils en colporteront le récit au fond de chaque hameau de l’Ouest. Et l’année suivante, les massacres commis par les colonnes infernales en Vendée, la répression de Carrier à Nantes et celle de Francastel à Angers, viendront encore, si besoin en était, renforcer leur conviction. Dès lors, leur lutte aura un caractère inexpiable que n’avait pas eu celle des Vendéens. Certaines caractéristiques de la chouannerie y contribuèrent également.
            A la différence des Vendéens, les Chouans se recrutaient de préférence au sein des ruraux les plus aisés, les riches laboureurs, les vendeurs de grains et de chanvre, tous ceux qui avaient vus dans les  bourgeois des villes des rivaux pour l’acquisition des terres. Mais ils se recrutaient également parmi les marginaux, les faux sauniers (comme Jean Chouan), les bûcherons, les bateleurs (comme Louis Tréton), des hommes issus de milieux modestes, analphabètes, individualistes, rebelles à toute forme d’autorité et particulièrement à la conscription.
            A la différence également des Vendéens, les Chouans ne formèrent jamais d’armées importantes. A l’exception de celle du Pont du Loc (21 janvier 1800), ils ne participèrent à aucune bataille rangée. Leurs bandes étaient peu nombreuses en terme d’effectif. Leurs moyens d’action étaient ceux des guérillas : coups de main, embuscades, attaques de diligences, extorsion de fonds, intimidation… C’est ce qui explique qu’il est presque impossible de donner une idée précise des opérations militaires de la chouannerie.

            Ils formaient une minorité d’activistes, disséminée au sein de populations moins homogènes socialement que la population vendéenne et qui, par conséquent, ne leur fournissaient pas toujours de bon gré le soutien exigé. Organisés en bandes aux contours plus ou moins floues, condamnés à la clandestinité et à vivre d’expédients, vulnérables à la trahison, ils se montraient, de ce fait, forts méfiants et volontiers cruels.

            Les chefs devaient faire usage de toute leur autorité et de tout leur charisme pour maintenir la discipline dans leurs troupes et éviter qu’elles ne se livrent au brigandage. Des hommes tels que Cadoudal, Guillemot et de Sol en Morbihan, Boisguy à Fougères, Rochecotte dans le Maine ou Frotté en Normandie y parvenaient. Les chefs de moins grande envergure ne pouvaient y prétendre.

            La légende noire de la chouannerie, celle qui va enflammer l’imagination des romantiques au 19e siècle, va naître des exactions commises par cette coalition d’intérêts divers et d’individualismes forcenés, rajouté au mode de combat de la guérilla, rapide et brutal, souvent exercé de nuit, ainsi qu’au mystère de la clandestinité de cette armée des ombres dont, par peur des représailles exercées sur leur famille, les membres cachaient leur identité  sous des noms de guerre plus ou moins terrifiant.

            Il faut attendre l’été 1794 pour que la chouannerie s’organise, autour de chefs énergiques, dans les régions où la population leur apportait le soutien le plus massif. Ce fut dans la Mayenne, dans l’ouest de la Sarthe, dans la région d’Auray, Vannes, Locminé, dans la région de Montcontour et dans celle de Fougères. Les capitaines de paroisses, élus par leurs hommes, comme en Vendée, étaient placés sous le commandement de chefs issus aussi bien de milieux populaires (comme Cottereau, Tréton, Coquereau, Cadoudal, Jean Jan, Guillemot), qu’aristocratiques (comme Scépeaux, Frotté, Rochecotte, Bourmont, Lantivy, Silz, Sol de Grisolles, Boishardy, Boisguy).

            L’apogée de la chouannerie se situe de l’été 94 à l’été 96. Elle reçoit alors successivement le renfort des Vendéens rescapés de Savenay (janvier 94), des émigrés échappés de Quiberon (juillet 95) et des déserteurs de la conscription levée en décembre 95. Durant cette période, cette armée disséminée dans la population, tient la campagne, empêche l’approvisionnement des villes, intercepte les communications et lève des contributions au nom du Roi sur les acquéreurs de biens nationaux.

            Cette redoutable arme de guerre qu’était la chouannerie faillit emporter la partie en juin 95 quand l’Angleterre décida de prendre à revers la République qui venait, en janvier, de s’emparer de la Hollande.  Ce fut ce que l’on a appelé l’expédition de Quiberon.

            Le 23 juin 1795, une importante flotte anglaise vient mouiller dans la baie de Carnac où elle débarque une troupe d’environ 6000 émigrés, la plupart anciens soldats de l’armée du prince de Condé, revenus en France combattre la République.

            Cette armée compte pour réussir sur un soulèvement massif de la Bretagne. Malheureusement, malgré la vaillance de ces émigrés, malgré les prouesses des chouans de Cadoudal venus en force les soutenir (au nombre de peut-être 10.000 combattants), le manque de coordination des opérations militaires entre émigrés et chouans et, surtout, la dualité du commandement entre Puisaye et le comte d’Hervilly conduit à la catastrophe.

            Au lieu de s’avancer à l’intérieur des terres, les royalistes perdent du temps à tergiverser, pendant que leur adversaire, le général Hoche, rassemble en toute hâte 13.000 hommes de troupe. Le 7 juillet, il repousse les chouans que les émigrés ont laissés combattre seuls et les renferme dans la nasse de Quiberon où, selon ses propres termes, ils sont faits comme des rats.

            Le 21 juillet, malgré la diversion tentée par Tinténiac et Cadoudal, les émigrés, commandés par le marquis de Sombreuil, sont forcés de capituler.

            On fit ensuite reproche à Hoche d’avoir laissé des prisonniers de guerre qui s’étaient rendus sur la promesse orale de la vie sauve, aux mains des commissions militaires qui en firent fusiller la plupart, y compris des prêtres et des adolescents !

            A l’été 1796, ce fut pourtant le mérite de ce même général Hoche, de vaincre la chouannerie, par des moyens à la fois militaires et diplomatiques.

            Militaires : en remplaçant les garnisons fixes par des patrouilles mobiles qui quadrillaient le pays à la recherche des chouans, appliquant en pays chouan le même système qui avait abouti en Vendée à la capture de Charette et de Stofflet. Diplomatiques : en accordant une large tolérance religieuse et en s’appuyant  sur les prêtres pour prêcher la paix.

            En supprimant les causes de la révolte, il en supprima les effets. Ce qu’aurait put faire la Convention dès 1793 ou le Directoire en 1795. Ce que réitérera après lui Bonaparte, en promulguant le Concordat.

            Le résultat ne se fit pas attendre. Le 31 mai 1796, Scépeaux, le chef du Haut Anjou et du Maine se rendit, suivi, le 18 juin, de Cadoudal. Hoche put écrire au gouvernement le 13 juillet : « les troubles de l’Ouest sont terminés ! » Vaincus militairement, les Royalistes tentèrent, l’année suivante, de prendre le pouvoir par les élections. En avril 1797, la droite royaliste obtint la majorité lors du renouvellement du Conseil des Cinq-Cents et du Conseil des Anciens. Mais, le 4 septembre (18 fructidor), les jacobins contre attaquèrent. Trois des cinq Directeurs, Reubell, La Révellière-Lépeaux et Barras organisèrent un coup d'État soutenu par l'armée (Augereau). Les résultats de l'élection furent annulés dans 47 départements et 22 députés dont Pichegru furent exilés en Guyane. Dans la foulée, les prêtres réfractaires furent à nouveau poursuivis.

            En 1798, les défaites militaires aux frontières conduisirent le Directoire à procéder à de nouvelles levées d'hommes (loi sur la conscription du 21 août). Puis, menacé par la banqueroute, il eut recours à l’emprunt forcé. Et enfin, pour faire face à l’opposition qui allait croissante, il fit voter, en juillet 99, en un retour odieux aux méthodes du CSP, une « loi des otages » qui permettait d’emprisonner les membres de la famille d’un opposant.

            Il y avait là, pour les royalistes, une occasion à saisir ! Les armées de la République étaient occupées aux frontières. Son meilleur général, le bouillant Bonaparte, était bloqué en Egypte après que l’amiral Nelson eût coulé sa flotte à Aboukir (août 98). Et Barras, un des directeurs, paraissait prêt à se laisser acheter…
Ce fut la 3e guerre de Vendée ! Le 14 septembre 1799, 200 chefs chouans et vendéens se réunirent au château de la Jonchère, près de Pouancé pour fixer la date de la prise d'armes au 15 octobre.

            Ce jour-là, Bourmont s’empare du Mans. 5 jours après, Chatillon et d’Andigné entrent dans Nantes ! Bayeux, Mayenne, Laval, Ancenis, La Roche Bernard, Redon, Saint Brieuc sont également occupées.

            Mais c’est un feu de paille ! Le temps de libérer les prisonniers et de piller les caisses et les villes sont évacuées !

            De leur côté, les Vendéens ne rencontrent que des échecs. Le 29 octobre, Suzannet, à la tête de 3 000 hommes, est battu à Montaigu. Le 4 novembre, Charles d'Autichamp, à la tête de 6 000 hommes est écrasé aux Aubiers par les 600 hommes du général Dufresse. Dans le Centre, Grigon est tué le 18 novembre à la Bataille de Chambretaud.

            La guerre s'interrompt à l'annonce du coup d'État du 18 brumaire (9 novembre). Bonaparte qui vient de s’emparer du pouvoir, va-t-il rétablir la royauté ? Certains, comme d’Andigné, l’espèrent. Mais il n’en est rien.

            Néanmoins, soucieux de justifier sa prise de pouvoir aux yeux de l’opinion, le  premier consul, se doit de restaurer la paix. Pour cela, il reprend la recette qui avait si bien réussi à Hoche et l’applique à l’ensemble du pays. Il proclame la liberté religieuse, rouvre les églises au culte, supprime la loi des otages et l’emprunt forcé.

            Le 15 novembre, il charge le général Hédouville d’engager des négociations auprès des officiers royalistes qui se réunissent le 9 décembre à Pouancé, puis, à nouveau, le 8 janvier 1800, à Candé. Mais, une fois de plus, les Blancs se divisent entre ceux qui souhaitent la paix et ceux qui veulent poursuivre la guerre. Alors, Bonaparte lâche la carotte et s’empare du bâton. Il destitue le conciliant Hédouville et le remplace par Guillaume Brune, un soudard, qu’il envoie dans l'Ouest à la tête de 30 000 hommes. Et il décrète que « tout individu qui prêche la révolte sera fusillé sur le champ ! » Comment, dans ces conditions, résister  sans l’appui de la population ? Les chefs vendéens, Suzannet, d'Autichamp et Sapinaud, signent la paix les premiers le 18 janvier. Les chouans, Cadoudal en Bretagne, Frotté en Normandie et Bourmont dans le Maine tiennent quelques jours de plus, avant de se rendre à leur tour.

Frotté, le plus récalcitrant de tous, est arrêté traitreusement  alors qu’il vient se rendre et, le 18 février, à Verneuil sur Avre, on le fusille à titre d’exemple ! Ainsi finit la « 3e guerre de Vendée »


Cadoudal et Napoléon : une mystification


            Georges Cadoudal, surnommé le « chouan des chouans », a 22 ans au moment du soulèvement de 1793. Fils d’un cultivateur aisé de la région d’Auray, il fait ses études au collège Saint-Yves de Vannes, dans l’intention peut-être de devenir séminariste… A sa sortie du collège, il est engagé comme clerc de notaire à Auray. Très pieux, on imagine facilement qu’il est choqué de la politique anticlérical de l’assemblée parisienne.

            Le 19 mars 93, atteint par la conscription, il se soulève avec 3000 paysans rassemblés dans les landes de Mané Corohan. Mais les GN d’Auray appuyés par des renforts venus de Belle-Ile et Lorient les dispersent facilement.

            Georges ne se le tient pas pour dit ! Il s’en va rejoindre la Vendée triomphante et s’engage dans les « compagnies bretonnes » de Bonchamps. C’est là qu’il rencontre Pierre Mercier, son bras droit et son plus cher compagnon. Les deux amis suivent ensuite les Vendéens outre Loire et s’illustrent aux batailles d’Entrammes et de Dol.

            Après la terrible défaite du Mans, ils parviennent à rejoindre le Morbihan où ils s’emploient à organiser la résistance. C’est alors qu’un drame frappe Cadoudal. Dénoncé par un proche, lui et sa famille sont arrêtés (le 30 juin 94) et incarcérés à la prison de Brest. Son oncle Denis meurt en prison, ainsi bientôt que sa mère, après avoir accouché d’un enfant qui n’a pas survécu (23 octobre). Georges ne pardonnera jamais à la République ce crime odieux.

            Lui-même, à cette date, s’est déjà évadé de Brest, avec Mercier et commence à rassembler une petite bande d’insurgés. Sa force de caractère, son charisme lui valent de nombreux ralliements. Son intransigeance aussi. Chef des chouans de la région de Vannes, il se fait remarquer le 20 avril 1795, en refusant de signer le traité de La Mabilais qui reconnaissait la République. Son prestige augmente.

            Il joue ensuite un rôle très important lors des combats qui ont lieu autour de Quiberon (juin – juillet 1795). Les condamnations par les commissions militaires des prisonniers pris dans la presqu’île, le révoltent et l’ancrent dans ses résolutions. Le 16 août 95, il est élu général de l’armée catholique et royale du Morbihan qu’il organise en 12 divisions, avec de la cavalerie et de l’artillerie. Il contrôle alors tout le plat pays.
            Mais la mort de Stofflet (25 février 96), suivie de celle de Charette (le 29 mars) le laissent presque seul face aux armées de la République. Le 19 juin 96, il décide de rendre les armes pour attendre des jours meilleurs. Pendant ce temps, il prend de l’envergure. Il se rend à Londres, rencontre les princes français qui lui font bon accueil, ainsi que les ministres anglais qui voient en lui un allié solide contre la république.

            Les jours meilleurs arrivent à l’été 1799. Le Directoire s’est mis toute la France à dos. C’est une chance à saisir pour les royalistes. Le comte d’Artois donne alors le signal de combat à ses fidèles chouans. La mission qui échoit à Cadoudal est de maintenir les garnisons prisonnières des villes, tandis qu’il reçoit des Anglais les approvisionnements en armes, en munitions et en or qui sont indispensable pour mener la lutte. C’est ainsi que le 29 novembre 99, sur la plage de Pen Lan, il prend livraison de 25.000 fusils, de 4 canons et de deux obusiers.

            Mais, comme on l’a vu précédemment, les choses tournent mal pour les autres armées royalistes. Et surtout, le coup d’état du 18 brumaire change la donne. Sous l’impulsion Bonaparte, nommé Premier Consul, l’armée reprend courage. Les négociations avec les royalistes sont menées tambour battant. Cadoudal est l’un des derniers à baisser les armes, après un dernier baroud d’honneur, le 22 janvier, à la bataille du Pont du Loch, quand il renvoie « manu militari » à ses foyers vannetais le général Harty, venu imprudemment, avec 3500 hommes et du canon, braconner sur ses terres !

            Cadoudal rencontre Bonaparte aux Tuileries. Mais, outré par l’exécution de son ami Frotté (le 18 février), il refuse de servir le nouveau maître de la France et prend la fuite en Angleterre. Le 10 mai 1800, en récompense de sa fidélité, le comte d’Artois le nomme général en chef de l’armée royale de Bretagne. Mais c’est, malheureusement, une armée sans troupe !

            Cadoudal partage désormais son temps entre la Bretagne et l’Angleterre, s’attelant à la tâche impossible de débarrasser la France d’un Bonaparte qui est devenu l’obstacle majeur au rétablissement des Bourbons. L’assassinat de Frotté lui ayant ôté tout scrupule, il est prêt à user de tous les moyens, pour obtenir gain de cause et c’est un duel de titans où tous les coups sont permis qui s’amorce entre le taureau breton et l’aigle corse…

            A la fin de l’année 1800, Fouché, ancien terroriste et nouveau ministre de la police, envoie à Cadoudal des séides grimés en royalistes pour l’assassiner. De son côté Cadoudal dépêche à Paris 4 solides officiers chouans (Robinault, Joyaut, La Haye Saint Hilaire et Limoëlan) pour expédier ad patres l’encombrant premier consul. Le résultat de cette opération mal menée, c’est l’attentat de la rue Saint-Nicaise, commis le 24 décembre 1800 et qui fait 22 victimes innocentes, en épargnant Bonaparte.

            Mais ces 22 victimes ne sont pas perdues pour tout le monde. De même que la Montagne avait instrumentalisé la guerre de Vendée pour s’emparer du pouvoir et s’y maintenir ; de même, Bonaparte se sert de ce complot pour se débarrasser de l’opposition jacobine, puis de l’opposition royaliste.  Peu après, arguant de ces complots, il se fait accorder le consulat à vie (août 1802).

            Cadoudal est traqué de plus belle. La mort de Mercier, le 20 janvier 1801, puis celle de son frère Julien, le 2 février, le désespèrent. N’ayant plus rien à perdre, il se lance à corps perdu dans une ultime tentative visant à abattre son adversaire. Son « grand coup » ! La fameuse conspiration de l’an 12.

            Après la rupture de la Paix d’Amiens, le 18 mai 1803, il peut compter sur le soutien actif des Anglais et sur la complicité des généraux Dumouriez et Pichegru qui sont, comme lui, réfugiés à Londres. En France, il table sur la neutralité de l’armée que l’on dit mécontente de l’arrogance du nouveau César et sur le mécontentement des classes populaires. Mais il se leurre. En vérité, l’opinion publique n’est pas prête à un nouveau bouleversement et ni le général Moreau, ni d’autres frondeurs au régime, n’acceptent de se compromettre avec l’artisan de la machine infernale…

            Il s’en rend compte, au fil des nombreux allers retours qu’il fait entre l’Angleterre, la Bretagne et Paris où il rassemble ses fidèles. Une rencontre orageuse avec Moreau finit par lui ouvrir les yeux. L’armée ne le suivra pas, malgré la présence à ses cotés du général Pichegru…

            Quand il s’apprête à laisser tomber le coup, il est déjà trop tard pour lui. Tant de mouvements suspects avaient attiré l’attention de la police qui avait arrêté, un peu par hasard, quelques uns des affidés. Sur le point d’être exécuté, l’un d’eux, un nommé Querelle, passe aux aveux (27 janvier 1804). Grâce aux indications qu’il fournit, la traque débute. Tous les octrois de la ville sont gardés. Impossible de filer. Les conspirateurs se cachent là où ils peuvent, changent fréquemment de gîtes, vivent dans l’angoisse, à la merci d’une dénonciation. Le 8 février, Bouvet de Lozier, un des principaux lieutenants de Georges, est arrêté, ainsi que Picot, son domestique. Les deux hommes passent à table. A cette occasion, ils commettent l’imprudence de signaler qu’un prince français participe au complot. Picot affirme même l’avoir croisé. En fait, c’est le prince de Polignac qu’il avait vu. Bonaparte fait aussitôt incarcéré Moreau (15 février). Le 28 février, c’est Pichegru, trahi, qui est arrêté. Enfin, c’est le tour de Cadoudal de tomber dans la souricière, le soir du 9 mars 1804. Durant son interrogatoire, il confirme, sans songer aux conséquences, qu’un prince devait, en cas de succès, venir prendre la tête du mouvement… Sans le savoir, il vient de condamner à mort le duc d’Enghien, capturé peu après à Ettenheim en pays de Bade et exécuté le 21 mars dans les fossés du château de Vincennes.

            Profitant de cette incroyable conspiration de Cadoudal, Bonaparte fait d’une pierre trois coups ! Il musèle l’opposition de l’armée en disqualifiant son rival le plus redoutable, le général Moreau. Il met au pas les royalistes en leur démontrant l’inanité de toute tentative contre lui. Et, en exécutant le duc d’Enghien, il s’attira le soutien inconditionnel des anciens régicides, tels Cambacérès, Fouché ou Talleyrand qui tiennent encore les manettes du pouvoir !

            Dès lors, définitivement rassurée sur l’impossible retour des Bourbons, la bourgeoisie lui apporte ses suffrages. Le 18 mai 1804, par senatus consulte, Napoléon est proclamé empereur des Français. Il doit, en partie, sa couronne aux Chouans de Cadoudal ! Le 25 juin 1804, en compagnie de 11 compagnons de lutte, le paladin indéfectible de la royauté est guillotiné en place de grève. Il meurt à 33 ans, avec courage et dignité. La mort de ces braves qui ferme derrière elle les portes de l’ancien monde, ouvre en grand celles du nouveau.


La revanche des royalistes


            Un bilan exact des victimes dans les deux camps est impossible à établir, faute de sources fiables. Les estimations les plus hautes font état de 600 000 morts, les plus basses de 120 000. A elles seules, les colonnes infernales de Turreau auraient fait environ 30 à 40.000 victimes. Un bilan récent des pertes humaines en Vendée militaire, du à Jacques Hussenet, en 2007, évoque 170.000 morts. Les pertes de l’armée républicaine se monteraient entre 26 et 37.000 hommes (pour 130 à 150.000 hommes engagés).

            Ce qui ressort de ces 20 années de luttes, ce sont, malgré les défaites subies et les pertes humaines, les succès obtenus. Si l’on se souvient que les paysans s’étaient levés, non pour restaurer la monarchie, mais pour rétablir leurs autels, on peut alors affirmer qu’ils ont obtenu gain de cause.

            Dès février 1795, au traité de la Jaunaye, les Vendéens obtenaient de la République la liberté du culte, le retour de leurs prêtres, la remise des impôts et l’abandon de la conscription, tout ce pourquoi ils s’étaient soulevés moins de deux ans auparavant. En avril, les chouans obtenaient la même chose au traité de La Mabilais.

            Même si la République imposa certains retours en arrière, ces acquits furent rendus définitifs par Bonaparte, en janvier 1800, à l’issue de la troisième guerre de Vendée. En 1801, un Concordat fut négocié entre Bonaparte et le pape Pie VII par l’intermédiaire de l’abbé Bernier, un ancien membre du conseil royaliste de Châtillon, qui fut aussi l’aumônier de Stofflet. Le pape ratifia le Concordat le 15 août 1801. Ce qui ramena en France une paix religieuse durable.

            Et puisque nous commémorons cette année le bicentenaire de la bataille de Waterloo qui eut lieu le 18 juin 1815, je finirai cet exposé en rappelant qu’une ultime levée d’armes des Vendéens, celle que l’on a nommée la 4e guerre de Vendée, contribua une fois encore à infléchir le cours de notre Histoire.

            Le 1er mars 1815, Napoléon, échappé de l’ile d’Elbe, débarque au golfe juan. L’armée, l’administration et la ville de Paris se rallient à son régime et le roi Louis XVIII et sa cour se voient contraints de prendre le large et de s’exiler à Gand. Alors que la province demeure dans une prudente expectative, seules les anciennes régions de Vendée et de chouannerie prennent fait et cause pour les Bourbons. Conscients que le retour de l’Empereur ne va pas manquer de susciter une nouvelle guerre et aussi que, par sa faute, la conscription va encore moissonner en pure perte leur belle jeunesse, 25.000  paysans vendéens et 20.000 chouans répondent, une fois de plus, à l’appel de leurs chefs.

            Les anciens compagnons de La Rochejaquelein et de Cadoudal qui sont encore en vie, vont alors, au-dessus de leur cheminée, décrocher leurs fusils. Et les lys de la royauté refleurissent, portés par des chefs de légende : Sapinaud, d’Autichamp, Suzannet, Caillaud, Grisolles, Bourmont, d’Andigné et Cady.

            Quant à ceux qui sont morts, leurs noms vénérés flottent encore, comme des bannières, au-dessus des armées, car MM. Louis et Auguste de La Rochejaquelein, Joseph de Cadoudal, Jacques de Cathelineau et Ludovic de Charette ont répondu présents à l’appel de la fidélité…

            Tant pis si les succès militaires ne furent pas au rendez-vous ! Tant pis si des hommes braves, comme Louis de La Rochejaquelein, Ludovic de Charette et Constant de Suzannet, y laissèrent la vie. Car les Vendéens et les chouans étaient parvenus à empêcher la conscription dans leurs départements. Mieux encore, ils étaient parvenus à fixer sur place plus de 20.000 soldats des troupes napoléoniennes. Et ce manque à gagner en hommes pour Napoléon pesa d’un poids décisif dans la balance de Waterloo !

            Sol de Grisolles, l’ancien chef de division de Cadoudal, l’ancien conspirateur de 1804 qui avait passé 10 ans dans les geôle impériale, put ainsi, en juillet, entrer en vainqueur dans Vannes, cette ville pataude qui vit périr le marquis de Sombreuil et que Georges, son ancien compagnon d’armes, n’était jamais parvenu à conquérir. Quelle revanche !

            Après la seconde abdication de l’Empereur, ces armées royalistes, par seul le fait d’avoir pris les armes pour le Roi durant les Cent Jours, permirent aux diplomates français de faire admettre le roi Louis XVIII à la table des négociations, en tant que belligérant à part entière dans la coalition. Notre pays y gagna un raccourcissement de son temps d’occupation par les armées alliées.

            Ce furent encore ces armées royales en armes qui mirent un frein aux pillages des Prussiens à l’été 1815, en arrêtant leurs convoitise à la frontière de la Bretagne et de la Vendée militaire.

            A cette occasion, un fait émouvant est à signaler. Alors que les troupes impériales, commandées par le maréchal Davout et le général Lamarque étaient acculées à la Loire par l’avance des troupes de la coalition, les chefs royalistes leur firent savoir que, Français eux aussi, ils étaient prêts à se joindre à leurs adversaires de la veille pour faire face à l’invasion de leur patrie.

            C’est ainsi que se forge une nation, par la volonté de certains hommes unis par la fidélité, l’honneur et l’héroïsme dans l’épreuve des combats !


Conclusion


            N’oublions pas qu’avant d’être des idées, politiques ou religieuses, ce furent, durant ces 22 ans, des hommes qui s’affrontèrent.  Ces hommes avaient en commun l’énergie. Car ce qui frappe concernant cette époque, si on la compare avec celle qui la précède et celle qui la suit, c’est bien son énergie ! Cette énergie, c’était celle d’un monde ancien qui se sentait à l’étroit dans ses structures démodées, frustré dans ses ambitions légitimes et qui aspirait de toutes ses forces au changement.

            Cette énergie, c’était celle de la jeunesse. La plupart des hommes qui se combattaient, étaient jeunes et, par conséquent, bouillant de santé, d’idéalisme et d’enthousiasme.

            Cette énergie c’était celle de la conviction, de la bravoure, du dévouement, de l’ambition, de l’honneur, de l’héroïsme, tant il est vrai que les périodes de crise révèlent les potentialités de chaque individu, tant dans le bien, que dans le mal…

            Cette énergie c’était celle, enfin, du sublime. Ce sublime qui fascina et nourrit les Romantiques. Ce sublime qui, de nos jours encore, donne un sens à notre vie !


                                                                                  Fabian de Montjoye, 26 avril 2015